Le regard des français sur l’entreprise reste marqué par l’ambivalence. Deux chiffres en témoignent : si 34 % des français seulement déclarent faire confiance aux entreprises*, 61 %* leur prêtent le pouvoir de changer le monde dans lequel on vit… soit plus qu’au Président de la République ! C‘est sous ce regard contrasté de l’opinion que se déploie progressivement le mouvement de responsabilité sociétale de l’entreprise consacré par la loi PACTE, en particulier à travers la nouvelle notion de « raison d’être » Sous le regard plus exigeant des Français, cette innovation législative peut devenir un accélérateur de confiance et de dialogue, ou au contraire un catalyseur des déceptions envers l’entreprise.
A date, et c’est normal dans le climat de défiance que traverse la société française, la raison d’être a encore du chemin à parcourir avant de convaincre de son utilité, et de son impact concret. Un quart seulement des français en a entendu parler**, et même une fois informée sur son objectif et ses modalités, une très large majorité* considère qu’il s’agit d’une action motivée par l’opportunisme. Pour eux, la raison d’être serait surtout destinée à améliorer l’image de l’entreprise, et ses premiers bénéficiaires ne seraient autres que les actionnaires. Un doute sur l’intention qui conduit logiquement à un doute sur l’action : près d’un Français sur deux** estime que les entreprises ne vont rien changer à leur manière d’agir dans la société. Suspicion enfin sur le contrôle des engagements, les organes décisionnaires de l’entreprise n’apparaissant que peu crédibles pour mesurer la réalité des progrès annoncés en matière sociétale, sociale ou environnementale.
Dans ce contexte, un pré-requis s’impose pour les entreprises : convaincre de la sincérité de leur démarche. Cet impératif repose sur trois conditions.
D’abord, la gouvernance du projet. La raison d’être doit s’affranchir des silos internes, parce qu’elle ne peut être conçue qu’en transversalité. Elle doit également s’afficher comme une véritable ambition stratégique, devenir une grille de lecture des grands choix de l’entreprise ; qu’il s’agisse notamment des activités à développer ou à réduire, des investissements prioritaires, de la sélection des partenaires les plus cohérents avec les valeurs proclamées. Autant de décisions qui ont vocation à être portées au plus haut niveau de l’entreprise, afin de de l’emporter sur les arbitrages du court terme. En externe, l’enjeu est de nourrir un dialogue permanent et sincère avec les parties prenantes, afin que la raison d’être puisse « progresser en marchant » : être confrontée au regard critique de partenaires extérieurs, mais aussi être éclairée par des confrontations d’idées. Au final, une raison d’être partagée et débattue apparaîtra comme d’autant plus crédible et constructive.
Ensuite, l’appropriation de l’interne. La priorité est d’embarquer le plus largement possible les collaborateurs de l’entreprise, de les convaincre et de les fédérer.: la raison d’être doit pouvoir être compréhensible et inspirante pour chaque collaborateur, afin qu’il en devienne l’artisan et l’ambassadeur, en la traduisant dans son travail quotidien. Sans l’engagement de l’interne, la raison d’être restera une belle affiche placardée dans les couloirs ou les ascenseurs.
Enfin, la culture de la preuve. Si la raison d’être doit s’installer comme une raison d’agir, cette action ne pourra convaincre qu’en produisant des preuves observables et des résultats concrets. C’est la « mise en mouvement » opérationnelle et quotidienne de l’entreprise qu’il s’agira de mesurer, en mettant en perspective ce que la raison d’être change dans sa stratégie, ses activités. Dans cette évaluation, le choix d’indicateurs pertinents et transparents sera essentiel pour rendre l’action lisible, ses résultats appropriables, et sa progression convaincante. A la clé, un objectif majeur : passer de l’affirmation à la démonstration, ne pas seulement rendre clair mais rendre tangible.
Annoncée avec une certaine solennité et très médiatisée, la raison d’être va être scrutée de près. En cas de crise, l’opinion voudra ainsi s’assurer que les engagements pris ont été suivis d’effets. Dans les choix stratégiques, les comportements de l’entreprise, le citoyen, le consommateur, l’ONG, le futur recruté créditera la sincérité ou discréditera ce qui n’aurait été qu’une parole de plus, une communication vide de sens. Mais au-delà des actions de chaque entreprise, c’est bien le mouvement de réconciliation des français avec l’entreprise qui est en jeu. Suspectée d’insincérité, la raison d’être peut creuser à nouveau le fossé du doute et de la défiance. A l’inverse, si elle est effective, partagée, mesurable, la raison d’être peut donner l’occasion de sceller durablement ce rapprochement.
Bernard SANANES
Président du cabinet d’études et de conseil ELABE
*Baromètre des Territoires ELABE <Décembre 2018
**Etude réalisée par Elabe en Juin 2019
Les commentaires récents