C’est un très vieux jeu de cartes que beaucoup des électeurs de cette chronique n’ont sans doute pas connu. Il consiste à ne pas se retrouver avec une carte particulière du jeu entre les mains. S’il a amusé des générations d’enfants pendant des après-midis pluvieux ou des longs trajets en voiture, le Mistigri, c’est son nom, a aussi donné naissance à une expression aujourd’hui légèrement surannée : « refiler le Mistigri ». Au moment où la vie politique française connait un bouleversement inimaginable il y a encore quelques semaines, la philosophie du jeu pourrait inspirer nombre de grandes stratégies et de petits calculs chez les différentes forces en présence.
Explications. Les Français ont voté. A 7 semaines d’intervalle, ils ont choisi pour la première fois depuis l’alignement du calendrier électoral en 2002, de ne pas donner au président pourtant fraichement réélu une majorité parlementaire. A 44 sièges de la barre fatidique des 289 sièges, le désaveu pour le président est nettement plus élevé que celui connu par Francois Mitterrand et Michel Rocard en 1988 (il manquait alors14 sièges). Il faut donc inventer autre chose que cette majorité absolue qui était un des fondements de notre système politique depuis plus de 60 ans. D’autant que par ce vote, les électeurs ont non seulement exprimé leur mécontentement et leurs attentes impatientes face à un début de quinquennat sans élan mais ont aussi appelé à faire évoluer la gouvernance politique de la Vème République. N’exprimant « ni remords ni regrets » ils étaient au lendemain du scrutin 71% à se déclarer satisfaits de cette majorité relative.
Unité nationale, coalition, accord au cas par cas. Les scenarii s’enchainent et à l’heure où nous écrivons ces lignes, personne n’est capable de dire si l’un d’entre eux l’emportera. Le temps presse. Si les Français ont émis ce choix, c’est parce qu’ils ont envie de voir si cela peut fonctionner. Ils n’ont sans doute pas envie d’un blocage qui paralyserait les décisions urgentes en matière de pouvoir d’achat, de sécurité, d’environnement ou d’éducation. C’est là où le Mistigri revient dans le jeu. Qui portera la responsabilité d’un éventuel blocage ? L’exécutif à qui il serait reproché de n’avoir pas vraiment recherché un accord, arc-bouté sur un programme dont on ne peut pas objectivement dire qu’il a marqué la campagne et a été un élément déterminant de son succès ? L’opposition qui verrait mettre à son débit un refus de position constructive ? L’exécutif qui ne peut ignorer que la victoire présidentielle a largement été un succès par défaut ? Les oppositions à qui il serait reproché d’oublier que malgré leurs performances elles n’ont pas gagné l’élection.
C’est donc pour éviter de se retrouver collés avec la dernière carte du jeu, que les joueurs autour de la table calibrent leurs positions et leur communication. Nous sommes prêts à un accord large disent les uns tout en recherchant en sous-main quelques débauchages ; nous sommes prêts à être des oppositions responsables répondent les autres tout en mettant en exergue les lignes rouges qui rendent les accords peu plausibles. La première manche aura pour nom « pouvoir d’achat » dans un contexte de forte tension. Le gouvernement essaiera de faire voter toute une série de mesures destinées à améliorer le quotidien des Français. L’opposition, dans son rôle, demandera plus. Au moment du vote, que retiendra l’opinion ? Des mesures insuffisantes mais positives, le « c’est toujours bon à prendre » ou des mesures jugées pas à la hauteur, un « tout ça pour ça » qui viendraient alimenter une colère qui continue de gronder.
Du jeu de cartes aux stratégies de communication, il n’y a parfois qu’un pas. La bataille qui s’ouvre et qui va redonner au Parlement un rôle qu’il n’a pas connu depuis longtemps, sera aussi une vraie bataille d’opinion. Majorité et opposition vont devoir apprendre à composer, à discuter, à négocier, sous le regard des médias et des réseaux sociaux. Perdre une partie de cartes ce n’est jamais très grave. Mais perdre définitivement la confiance des Français c’est une tout autre histoire.
Bernard SANANES
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