1. A qui profitera la faible participation ?
En 2011 en métropole, la participation, recalculée hors Paris et Grand Lyon qui ne votent pas cette fois-ci, avait atteint 44,03%. C'était il faut le rappeler la 1ère fois depuis 2001 que les cantonales n'étaient pas couplées avec une autre élection : en 2001 et 2008 avec les municipales, en 2004 avec les régionales, dans ces 3 cas elle avoisinait les 65%. Le potentiel de participation mesuré par CSA pour BFMTV cette semaine table sur un 42%.Le peu d'intérêt pour le scrutin, renforcé par le nouveau découpage (qui dans une très grande partie du territoire n'avait pas été modifié depuis deux siècles), et les interrogations sur le rôle du département permettent de penser qu'on devrait au soir du 22 mars frôler ou dépasser un nouveau record d'abstention pour ce type d'élection.
Evidemment on s'attachera à regarder le différentiel de participation. Aux Européennes, c'est la mobilisation plus forte de l'électorat du FN qui avait contribué à son succès. Cette semaine dans le sondage CSA, la mobilisation de l'électorat de droite(56%), tirée par celle des retraités est légèrement plus forte que celle du FN(52%) mais beaucoup plus forte que celle de la gauche (49%). Surtout c'est chez les sympathisants PS qu'elle est la plus faible (44%) comme si ni les évènements du 11 Janvier ni une perspective plus optimiste sur la situation économique ne suffisait à redonner aux électeurs de gauche l'envie d'aller soutenir l'exécutif
2.Le FN au centre du jeu
Le FN a déjà remporté deux victoires. Celle de l'implantation en présentant des candidats dans 93% des cantons ce qui ne lui était jamais arrivé. Celle de la campagne électorale dont la seule actualité médiatique se fait autour de lui. Mais au delà, il apparait plus que vraisemblable que pour la deuxième fois consécutive après les européennes, le FN sera le 1er parti de France en suffrages exprimés au soir du 1er tour, autour des 30% (soit 5 points de plus qu'aux européennes, 10 points de plus à périmètre comparable par rapport à 2011 ou il a réalisé 19% dans les cantons où il était présent et 15 % au niveau national). Il sera qualifié dans une très grande majorité de cantons pour le dimanche suivant. Mais selon moi c'est un élément-clé qu'il faudra regarder avec attention au deuxième tour. Dans combien de duels le FN aura t-il des élus ?. On le sait c'est dans cette configuration de duels, notamment face à la droite, que le FN bute pour transformer ses scores de plus en plus élevés en élus, alors que les triangulaires lui sont plus favorables. Ce scrutin pourrait être celui qui fait voler en éclat cette barrière. Je ne serais pas surpris que le Fn puisse obtenir entre 50 et 80 élus.
Cerise sur le gâteau, le parti de Marine Le Pen peut-il viser une présidence de département ? On observera la prudence du FN sur ce sujet. Le Vaucluse, ou la droite en difficulté est en panne de leadership, et qui n'élit que 17 conseillers semble être la cible la plus accessible mais l'extrême droite est divisée entre FN et Ligue du Sud. Dans le Var, la droite pourrait mieux résister et les duels lui être favorables. Dans le Pas de Calais bastion de la gauche, il faudrait un séisme politique pour que le FN l'emporte et ce sont les reports UMP qui seront souvent la clé des seconds tour. Dans l'Aisne où le FN a fait de très bon scores aux européennes et conquis une ville aux municipales, et dans l'Oise où le FN a toujours enregistré de très bons scores, il aura vraisemblablement plusieurs élus, mais de là à penser qu'il fasse élire une majorité de conseillers départementaux semble une perspective plus éloignée.
3.La gauche émiettée, atomisée, suicidaire...
On peut s'étonner de tous les choix tactiques faits par la majorité pour ce scrutin. Même si elle y était contrainte par le redécoupage, le renouvellement en un coup au lieu de par moitié conduit évidemment à la nationalisation du scrutin. De plus voter dans des territoires plus grands (on a diminué le nombre de cantons par deux) éloigne l'enjeu local et donc nationalise forcément davantage.
Bref là où la gauche devait essayer de localiser et dépolitiser, elle a elle-même permis la nationalisation et la politisation du scrutin.
La gauche aborde donc ce scrutin avec le cumul de trois handicaps : la démobilisation (voir plus haut), la sanction (48% des électeurs disent vouloir sanctionner l'exécutif, c'est plus qu'aux européennes) et surtout la division :
Car, en matière de tactique électorale, on frôle la stratégie kamikaze. On pourrait comprendre qu'il vaille mieux partir dispersé pour ratisser plus large à gauche pour essayer de capter au sein de la gauche la déception à l'égard de l'exécutif. Mais la barre des 12,5% des inscrits dans un scrutin à faible participation rend cette tactique suicidaire. Avec 42 % de participation, il faut près de 30 % des exprimés pour se maintenir quand on n'est pas second. Les partis de gauche ne présentent un seul candidat que dans moins d'un quart des cantons, les partis de droite dans les deux tiers. Résultat : même si nous n'avons aucun élément de modélisation, puisque le redécoupage des cantons et des bureaux de vote rend la reconstitution des résultats précédents, il n'est pas absurde d'envisager une gauche éliminée d'un tiers des cantons.
4.Où on redécouvre les troisièmes tour?
Celà fait longtemps (depuis les régionales de 1998 ), que l'on ne s'est plus intéressé aux troisièmes tours, la prime majoritaire aux régionales et aux municipales donnant des majorités claires au camp arrivé en tête. Cette fois, et sous l'irruption du FN dans les conseils départementaux, le 3ème tour sera suivi de près dans plusieurs départements. Que se passera t-il quand un camp ne disposera pas à lui tout seul de la majorité en sièges? La gauche et la droite s'entendront elles pour laisser gouverner à la majorité relative le camp disposant du plus grand nombre d'élus ? Et si dans le Vaucluse par exemple, le FN obtient le plus grand nombre d'élus, gauche et droite s'entendront elles sur un candidat de rassemblement ?
5.Une carte départementale bleue ?
Sauf sursaut, l'hypothèse d'un grand basculement des départements, semblable à celui vécu aux municipales est donc la plus vraisemblable. Le minimum c'est 20. C'est à dire qu'à minima, la Droite inversera le rapport de forces d'aujourd'hui 60 départements tenus par la gauche, 40 par la droite. La probabilité c'est que le chiffre des 30 départements qui bascule soit atteint. Ce serait donc l'annulation de plus de 15 ans de progression territoriale de la gauche dans les départements. Ce sera donc aussi la première victoire de l'UMP présidée par Nicolas Sarkozy. A une condition qu'il n'y ait pas de perturbation politico-médiatique causée par des petits arrangements locaux avec le FN (désistements à la nuit tombée, appels à voter ambigus etc). Nicolas Sarkozy l'a bien compris et a prévenu d'exclusion tous ceux qui à l'UMP se risqueraient sur cette voie. En fait le président de l'UMP veut obtenir une victoire sans tâche. Pour cela, il est sans doute prêt à sacrifier la victoire dans quelques départements pour apparaître comme irréprochable dans le combat contre le FN.
Au final, participation faible, vote-sanction, gauche atomisée et forte poussée du FN devraient dessiner une France départementale bouleversée et confirmer une tripartition de l'espace politique qui semble désormais installée durablement dans le paysage politique français.
Sur la base des rapports de force lors des derniers scrutins, et de l'analyse des situations locales
Les départements qui devraient basculer de gauche à droite :Ain, Allier, Ardèche, Charente, Corrèze, Doubs, Eure, Indre et Loire, Jura, Lot et Garonne, Oise, Pyrénées Atlantiques, Pyrénées Orientales; Haute Saône, Seine et Marne, Deux Sèvres, Somme, Tarn et Garonne, Territoire de Belfort, Essonne, Haute Corse
Les Départements qui pourraient basculer en cas de forte vague bleue :Alpes de Haute Provence, Bouches du Rhône, Cher, Drome, Finistère, Gard, Haute-Garonne, Gironde, Hérault, Ile et Vilaine, Loire-Atlantique, Meurthe et Moselle, Nièvre, Nord, Puy de Dôme, Seine Maritime, Tarn, Seine St Denis, Val de Marne
Le Département qui peut basculer vers le FN : le Vaucluse
#départementales2015 la très bonne analyse de @Bernard_Sananes
Rédigé par : MAPICOS | 12/03/2015 à 12:34