Parfois quand on relit ce que l'on a écrit, on se dit qu'on a écrit pas mal de bêtises, qu'on s'est carrément trompé , ou qu'on est passé complètement à côté de certains évènements. Et puis ,rarement, on se dit que ce jour là, on était bien inspiré. Le 11 Janvier 2002 -oui 2002- , Le Monde a publié une tribune que j'avais commis .Même avec modestie, j'avais envie de la faire relire, parce que franchement et même si tout ne se passe pas exactement comme cela, c'était , - pour l'époque - pas mal vu. Dîtes moi ce que vous en pensez !
Bernard Sananès : "Internet et les partis : cyber-renouveau ?"
mardi 22 janvier 2002
C’était il y a cent ans. Sous les préaux d’école, les candidats et leurs militants haranguaient les foules pour les inviter à venir écouter le candidat.
C’était il y a quarante ans. Dans des salles enfumées, la ronde des " colleurs d’enveloppes "s’affairait pour multiplier les envois de journaux, bulletins et professions de foi.
C’était il y a quinze ans. Rassemblés devant des écrans TV, les mouvements de jeunes s’enflammaient pour le tout-communication.
C’est aujourd’hui. Dans des permanences souvent vides, les derniers militants tentent de mobiliser supporteurs et sympathisants pour atteindre leur objectif : remplir une modeste salle de 200 personnes.
C’est demain : alertés par un mail du directeur de campagne, les cyber-militants de Lionel Jospin ont lancé par une action de " buzz " des milliers de messages pour expliquer que la baisse des impôts promise par le chef du gouvernement était une réalité. Ils n’ont pas hésité pour cela à donner chacun l’exemple de leur propre feuille d’impôts comme la Rue de Solferino les y avait invités.
C’est demain : dès le soir de l’intervention télévisée du président, les cyber-militants RPR se relaient sur les principaux forums de discussion pour expliquer que oui, la nouvelle candidature de Jacques Chirac est utile au pays.
C’est demain : les militants de Philippe de Villiers ont détourné le site de Charles Pasqua, et ont réussi pendant quelques minutes à y installer la photo de leur champion.
C’est demain : les partisans de Dominique Voynet sont satisfaits : avec 1 200 connexions au Live Chat de leur candidate, ils ont battu Robert Hue, qui n’a physiquement rassemblé que 600 personnes à la Mutualité.
Demain, Internet va-t-il permettre au militantisme politique de retrouver l’oxygène nécessaire et lui éviter de sombrer dans la mort lente qui le guettait ? Au-delà d’autres débats techniques ou sociétaux sur le vote électronique, sur la démocratie locale, la question du cyber-renouveau des partis politiques mérite d’être posée.
Si les partis savent considérer Internet comme plus qu’un gadget, qu’une simple amélioration technologique, alors ils vont incontestablement connaître un immense appel d’air. A cela plusieurs raisons : d’abord, sur Internet, le militant est utile et actif. C’est bien la spécificité du média Internet. Les élections américaines ont clairement montré le rôle que pouvaient avoir les internautes en relayant les messages venus du QG de campagne en quelques secondes à l’ensemble de leur carnet d’adresses, juste après les grands débats télévisés, en contribuant au maillage territorial. (On pouvait contacter par mail le responsable démocrate de son comté en cliquant sur la carte). Or aujourd’hui le problème du militant politique, notamment chez les jeunes, est son sentiment d’inutilité face à la toute-puissance des grands médias, et particulièrement de la télévision.
Le cyber-militant est un vrai relais susceptible de démultiplier la prise de parole d’un candidat, et d’en faire le service après-vente, en l’expliquant, la commentant avec ses mots, ses exemples. Le cyber-militant retrouve aussi de l’espace et de l’autonomie. On verra sans doute se nicher dans des pages perso, entre la passion de la voile du créateur et la photo du club sportif auquel il appartient, cinq lignes sur " pourquoi je voterai contre le maire sortant " ou " pourquoi le quartier des Vallées est oublié par la municipalité ". Internet ouvre de nouveaux modes et de nouveaux territoires d’expression.
Sur Internet, l’info est ascendante et descendante. Internet n’est pas seulement un formidable accélérateur pour délivrer messages et consignes à relayer. Il est aussi un formidable accélérateur de remontées d’information. Loin des approbations convenues des petites gardes rapprochées, loin du prisme souvent déformant des élus généralement confrontés aux seules minorités agissantes, Internet peut permettre aux partis d’installer des milliers de " capteurs " permettant dans les heures qui suivent une déclaration ou un événement d’avoir une partie du sentiment du pays réel.
Ensuite, sur Internet la part de voix est égale. Quand vous intervenez dans un meeting, ou sur une tribune, la salle, les " experts " ont vite décidé si vous étiez " bon " ou " pas bon ", si vous étiez représentatif ou pas, si vous étiez un " leader d’opinion " ou pas. Intervenez dans un forum de discussion. Prenez comme pseudo " Alain Du Hamel ", pour évoquer le vrai tout en faisant sourire, fendez-vous d’une analyse qui vous est propre mais qui est argumentée, vous deviendrez rapidement une référence du newsgroup en question, vous serez " bookmarqué " et donc remarqué. Qu’importe que vous soyez le jeune militant de Sciences-Po ou le petit commerçant du quartier, votre part de voix est égale, le militantisme perd de sa part d’élitisme.
Enfin, militer sur Internet c’est voir reconnue son expertise particulière, son centre d’intérêt là ou la vie politique traditionnelle encense plutôt les généralistes capables de s’exprimer sur tous les sujets, et surtout ceux ayant trait à la politique nationale.
Car Internet et la politique c’est aussi le triomphe des intérêts particuliers, des thématiques spécialisées par rapport à l’intérêt général. On verra demain se multiplier les sites des " médecins avec Chirac ", des " enseignants avec Bayrou ", des " femmes pro-35 heures avec Jospin ". La consultation des sites des deux candidats à la Maison blanche était à ce sujet éclairante. Sur la homepage, pendant les mois qui ont précédé le recomptage, peu de grandes phrases générales. Mais des accroches destinées aux Hispanos, aux professions de santé, aux mères inquiètes de la violence. Là où la télé est une puissante machine à adresser un message qui parle au plus grand nombre, l’Internet politique est une des meilleures traductions du marketing one to one qui influe maintenant sur l’ensemble des stratégies de communication. Dans ces stratégies, le cyber-militant est le meilleur agent du one to one politique.
Pour autant, le cyber-militant sera exigeant. Parce que l’interactivité ne peut se satisfaire de demi-mesures et que le cyber-militant aura besoin d’être entendu. Le journal interne d’un parti, d’une fédération est encadré, relu, bref " verrouillé " par les notables et l’appareil. Il n’en sera rien d’un forum de discussion où pourront s’affronter les idées les plus diverses, où pourront se confronter les tendances et s’exprimer les minorités. Les partis sont-ils prêts à cela ? Après tout, ne sont-ils pas plus à l’aise avec les micros de salle que l’on donne et que l’on reprend, avec les militants soigneusement triés sur le volet avant de monter à la tribune ? Les partis sauront-ils accepter que l’interactivité ne se maîtrise pas ?
Le lien qui unit le parti au militant sera aussi différent. Son degré d’autonomie par rapport à la ligne du parti sera incontestablement bien plus élevé que celui du militant assis dans la permanence sous le contrôle de son délégué de circonscription. Un militant qui distribue des tracts sur un marché ne fait que distribuer un message identique dans toute la France, sans pouvoir participer à sa définition. Un internaute pourra et voudra apporter sa touche personnelle, parfois sa nuance, à la déclaration de son candidat. Un cyber-militant ne sera pas un simple mégaphone.
Mais les partis sauront-ils accepter les spécificités de la culture Internet, la liberté, le débat, l’autonomie, l’horizontalité ? Comprendront-ils - certains l’ont déjà perçu - que même si Internet ne va pas se substituer à toutes les formes classiques de militantisme et d’expression politique, il va en occuper une part importante mais, surtout, qu’il va, à l’image de son impact sur la société et les entreprises, avoir une influence à moyen terme sur le fonctionnement et la conception du parti politique ?
La Toile va démoder tous les organigrammes. Le fonctionnement d’Internet va transformer les partis en réseaux. De lien en lien, de pages perso en pages perso, de communautés en communautés, le Net permet d’élargir la diffusion des idées, mais en diminuant le lien hiérarchique et donc le caractère sacré et intangible de la prise de parole du chef. Le lien hypertexte est plus souple que le règlement intérieur.
Le modèle Internet, enfin, va exiger des partis un supplément de démocratie interne. Le cyber-militant voudra participer aux décisions de son parti, à tous ses votes, à toutes ses prises de position. Les partis devront donc à terme adapter leur fonctionnement à cette exigence de participation et de consultation.
Qu’il soit relais, capteur, e-leader, chatteur, le cyber-militant redevient donc une extraordinaire opportunité pour nos vieux partis politiques englués dans les pratiques d’un autre âge.
Bernard Sananès est vice- président d’Euro-RSCG Corporate. Il est l’auteur d’un site Internet (lafranceelectorale.com), base de données électorales qui enregistre aussi en ligne les candidatures.
11 janvier 2002 Le Monde
Désolé pour le bug.voici la version non tronquée
Rédigé par : ben | 22/02/2007 à 18:14
Dommage que l'article soit tronqué.
Rédigé par : Martin | 21/02/2007 à 22:31